samedi 20 décembre 2008

La soif - A. Guelassimov

Les litres de vodka qui défilent dans son verre le protègent : qu'arriverait-il si Kostia se mettait à penser aux hôpitaux militaires, aux grenades qui explosent dans des tanks, aux pères qui préfèrent les jeunes filles à leur femme ? Brûlé au visage suite à une opération militaire, Kostia a choisi l'isolement. Mais ses remuants camarades de guerre vont le forcer à les suivre dans leur recherche des autres survivants, et ainsi l'aider à faire face au monde.

Guelassimov met en scène un traumatisé de la campagne de Tchétchénie et pousse son personnage à se délivrer de son histoire. Un roman dense et sans compromis sur la Russie d'aujourd'hui.
La soif, Andreï Guelassimov, Babel

mercredi 17 décembre 2008

Etrangère en ce monde - K. Canty

Tous les personnages de ce recueil de nouvelles le sentent : ils sont au bord d'un basculement. Un mot, un geste pourraient éviter la catastrophe, et ils en sont incapables. Ils vivent dans une Amérique dangereuse, poisseuse, nauséabonde, mais ils s'en rendent compte un peu trop tard.

Les nouvelles de Kevin Canty frappent l'imagination - impossible de ne pas se sentir concerné.

Etrangère en ce monde, Kevin Canty, L'Olivier

lundi 8 décembre 2008

Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable - H. Le Tellier

En voilà un titre prometteur ! On nous propose de la légèreté et de l'humour, et ça tombe bien. Hervé le Tellier, membre des Papous dans la tête et de l'Oulipo, nous propose mille réponses à la question "A quoi tu penses ?"

"Je pense que la majorité des gens est bien plus con que la moyenne." "Je pense que je ne saurai pas distinguer une jeune fourmi d'une vieille." "Je pense que j'aimerais bien partir en week-end avec Mme Bovary..."

Le Tellier pense aux femmes, au temps qui passe, à la littérature, aux choses banales et quotidiennes, toujours de manière décalée. C'est donc un bouquin à feuilleter, à reposer, à reprendre... Mais au travers de ce millier de pensées, on distingue l'angoisse de l'écrivain, soigneusement planquée sous un humour ravageur.

Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable, Hervé le Tellier, Castor Astral

lundi 1 décembre 2008

Tous mes amis sont des super-héros - M. Kaufman

Depuis leur mariage, la femme de Tom, Super-Perfectionniste, ne le voit plus : il est devenu littéralement invisible à ses yeux. Cela dure depuis six mois déjà. A bout de patience, elle décide de refaire sa vie à Vancouver. Lorsque le roman débute, il ne reste plus à Tom que quelques heures de vol pour se rendre à nouveau visible... Le problème de Tom, c'est qu'il n'y a pas que ses amis qui sont des super-héros : ses ennemis aussi. Et si Super-je-me-tape-l'incruste est assez inoffensif, il en va autrement de Super-Hypno, l'ex hypnotique de la femme de Tom.

Ce roman déjanté nous emmène à la découverte d'un monde étrangement semblable au nôtre - qui ne connaît pas un Super-ma-moto-fait-super-du-bruit ou une Super-je-fais-tout-comme-toi ? - où l'amour, franchement, est super-compliqué.

Tous mes amis sont des super-héros, Matthew Kafman, Naïve

mardi 25 novembre 2008

Le Phalanstère du Bout du Monde - Corbeyran, Bouillez

Je n'attendais rien de cette bande dessinée que j'ai empruntée à la médiathèque de ma ville. J'étais en retard, je voulais de la lecture, j'ai attrapé au hasard à la lettre C (Corbeyran), Le Phalanstère du bout du monde.
Jean, un enfant timide, est envoyé par ses parents au Phalanstère, un pensionnat isolé sur une île, lugubre, accessible seulement une fois par an, selon certaines marées. Les règles de ce pensionnat sont violentes, inhumaines, décalées. Jean doit y faire face, et son innoncence n'y survit pas.

Cette bande dessinée est servie par un scénario époustouflant et un dessin noir, expressif, au croisement de l'onirisme et de l'horreur. Impossible de rester indifférent!

vendredi 21 novembre 2008

La Brave Anna - G. Stein

Dans ce court récit Gertrude Stein expose la vie de la Brave Anna. Bouillonnante, décidée, jouant avec sa vie et sa santé pour le principe d’un service modèle (elle a une forte conscience de la manière dont doit se comporter un domestique), elle dirige d’une main de fer la maison d’une Miss Mathilde qu’elle adore. Tout au long du livre, nous suivons avec un mélange de fascination et de regret, le quotidien et le destin de cette tempétueuse gouvernante, dont nous sentons bien qu’elle passe à côté de sa vie.

L’écriture sobre, neutre mais incisive, m’a emportée et furieusement donné envie de découvrir les autres œuvres de Gertrude Stein.

La Brave Anna, Gertrude Stein, Folio

mercredi 19 novembre 2008

L'agrume - V. Mréjen

L’agrume, c’est le surnom que se donne Bruno – et c’est un titre bien trouvé pour un livre donnant à voir la relation acide qu’il entretient avec la narratrice, une certaine Valérie Mréjen. Si lui est pédant, distant et assez manipulateur, la jeune femme se distingue par sa naïveté et sa passivité : « Je serais d’accord sur tout. Il n’en reviendrait pas d’avoir trouvé une personnalité pareille. »

Valérie Mréjen livre des anecdotes rédigées dans un style lapidaire. Sans vraiment s’impliquer, elle rapporte les petits évènements, les phrases-types de leur couple. Parfois l’ironie remonte à la surface : « Dans un café, pour commander la même chose que quelqu’un, il ne disait jamais « pareil » ni « moi aussi ». Il sautait sur cette occasion pour réfléchir sur le réel. Quelqu’un : Un café !Bruno : Le même, mais un autre. »

Le lecteur se retrouve catapulté dans les pensées de Valérie et donc impliqué dans ce couple bancal - et presque fasciné par lui. L’auteur décortique cette relation amoureuse par petites touches, qui peu à peu forment un dossier à charges, contre Bruno d’une part, mais aussi contre elle-même.

L’agrume fait partie d’une série de trois livres consacrés aux hommes : les deux autres sont des portraits du père (
Eau sauvage) et du grand-père (Mon grand-père). Ils sont regroupés dans Trois quartiers, aux éditions J’ai lu.

L'agrume, Valérie Mréjen, éditions Allia

samedi 15 novembre 2008

Meurtre au kibboutz - B. Gour

En Israël, les kibboutzim sont des communautés vivant en vase clos, fondées après la Shoah, et qui tirent généralement leurs revenus de l’agriculture. Elles tentent l’impossible : parvenir à l’égalité parfaite entre les membres de la communauté. Les enfants sont élevés à l’identique, tous ensemble. Chacun travaille pour la communauté, qui répartit ensuite ses richesses équitablement. L’inspecteur Michaël Ohayon peut le demander à tout le monde : le kibboutz, c’est comme une grande famille. Le groupe passe avant les individus, chacun agit dans l’intérêt de tous et personne ne ferait de mal à personne. Pourtant, la belle Osnat a bien été empoisonnée volontairement…

De nombreux personnages se croisent, tour à tour sûrs d’eux, déphasés ou en colère, mais personne ne dit rien. Cette enquête, qui s’annonce difficile, permet à son auteur de mettre subtilement en scène les interrogations que suscite ce mode de vie. Le tout dans un livre impossible à refermer, dont les pages se tournent d’elles-mêmes.

Meurtre au kibboutz, Batya Gour, Folio policier

mercredi 12 novembre 2008

Le neveu d'Amérique - L. Sepulveda

On connaît Luis Sepùlveda pour avoir écrit Le Vieux qui lisait des romans d'amour, livre au titre trompeur. Dans le neveu d'Amérique, construit à partir de ses carnets personnels, l'écrivain chilien se met lui-même en scène.

Le grand-père de Luis, anti-clérical à souhait (dont la personnalité annonce les individus improbables à venir) fait promettre au "petit" d'aller un jour à Martos. C'est le point de départ d'un grand voyage improvisé dans toute l'Amérique latine, dominé par le hasard, le danger et les rencontres. Et c'est presque sans s'en rendre compte que le narrateur finit par trouver Martos, terre d'origine de son grand-père émigré.

La diversité de anecdotes en fait un récit passionnant, portrait d'une Amérique latine rugueuse et étonnante, mais aussi d'un Luis apprenant le métier d'homme. Sepùlveda écrit une communauté d'hommes jamais résignés, qui savourent chaque instant et sourient à l'absurdité du monde.

Le neveu d'Amérique, Luis Sepùlveda, Points

lundi 3 novembre 2008

Faute de parler - Allain Glykos

Nous aimons la mère d’Alexandre, et la mère d’Alexandre est morte. Comme lui, nous apprenons à vivre sans elle. Pas de lyrisme, pas de mélodrame sur ce sujet douloureux par excellence. Pas de description non plus des derniers jours, de la déchéance physique imposée par la maladie. Non, aucune de ces choses. Juste des mots, des questions, une description distanciée des premiers pas dans l’absence. Des souvenirs aussi, et en parallèle, la souffrance d’un peuple. Allain Glykos écrit sa propre douleur, elle devient la nôtre.

« C’est mon premier premier janvier sans ma mère, Lena. Durant un an, chaque jour sera un premier jour sans ma mère. Premier printemps, premier Lundi de Pâques, première cerise, premier anniversaire. Elle n’appellera pas. Bon anniversaire mon grand. Et Alexandre passerait parce qu’elle aurait un petit quelque chose pour lui. Premier premier mai, avec le brin de muguet qu’elle aurait mis dans un verre de moutarde imprimé d’un personnage de bande dessinée dont elle ne connaissait même pas le nom.»

Les mots d’Allain Glykos nous enveloppent de leur douceur, parfois ils rejoignent tellement notre souffrance qu’ils peuvent faire mal, mais jamais longtemps, jamais sans nous apaiser juste après. De cette écriture, élégante, et surtout sensible, surgissent des images cristallines qui nous suivent tout au long de notre lecture, et nous accompagnent longtemps après la fermeture du livre.

Allain Glykos est publié essentiellement chez l’Escampette. Faute de parler (2005) est le troisième roman d’un cycle sur la famille débuté en 1997 avec Parle-moi de Manolis, puis Le silence de chacun, paru en 2002. Son dernier ouvrage, Aller au Diable, est paru en 2007.

vendredi 24 octobre 2008

La baïne - E. Holder

Sandrine et Julien forment un couple typique du Médoc. Lui travaille pour faire vivre sa famille; c'est l'Ingénieur. Elle, "la femme de l'Ingénieur"; s'occupe de enfants et de la maison. Elle rêve bien d'autres choses, mais son mari sait la remettre "à sa place". Cela pourrait continuer ainsi; mais arrive un jour l'Etranger, parisien et cinéaste. Il s'éprend de Sandrine, qui trouve là l'occasion de troquer son rôle de mère pour celui d'une femme indépendante. Ces trois personnages (le mari, la femme, l'amant) seront menés implacablement à la destruction. Car dans ce village du Médoc, les rares voisins veillent à la morale de tous et à l'honneur de chacun...

Eric Holder donne à ce court roman l'allure d'une légende moderne, laissant penser que le scénario se répète chaque saison. Derrière un beau portrait de femme s'ouvrant au monde, il donne à voir une société fermement convaincu de son droit d'ingérence et broyant les individus.

La baïne, Eric Holder, Points

jeudi 23 octobre 2008

Le jardin aveugle - J. Frame

Vera, concentré d’émotions négatives, en proie à la jalousie, au dépit, à la culpabilité, s’est rendue aveugle à force de volonté. Elle tente de rétablir la communication rompue avec sa fille, Erlene, muette, incapable de parler parce qu’il « n’y a rien à dire, et pas de mots pour le dire ». Dans ce roman à trois voix, Janet Frame nous embarque dans un voyage sensoriel éprouvant, poétique, où sensibilité et folie se mêlent jusqu’à dénoncer d’un seul souffle l’inutilité du langage et l’échec de la communication humaine. L’instabilité guette le lecteur, qui finit lui aussi par se réfugier dans le silence et dans ses rêves, pour ne pas briser la fragilité du lien qui le retient à la vie.

Le Jardin Aveugle vaut la lecture, ne serait-ce que pour l’hypersensibilité et l’âpreté de Janet Frame, dont la puissance artistique s’exprime pleinement tout au long du roman.

Le jardin aveugle, Janet Frame, Rivages Poche

La méthode Mila - L. Salvayre

Comment supporter la dégénérescence de sa mère sous son propre toit sans 1) se jeter par la fenêtre 2) la jeter par la fenêtre ? Voilà la question que se pose le narrateur de ce roman. Sortir de chez lui ? Pour les gens qu'il y a à voir... Alors, c'est du côté de la philosophie qu'il va chercher des solutions. Mais que peuvent Descartes et son célèbre Discours de la Méthode ?

Abreuvé de rationalisme jusqu'à plus soif, et pas mieux portant, le quadragénaire se confie à Madame Mila. Voyante sans don de voyance, cartomancienne sans cartes, elle croit aux vertus de l'invention. En bref : elle lui raconte des histoires. Oui, mais des histoires exotiques, abracadabrantes, exagérément romanesques. Et elle finit par remettre en route le fusible imagination...

Le récit prend la forme d'une lettre adressée à Descartes. N'ayez crainte, Lydie Salvayre est mille fois plus drôle, plus claire et plus foutraque que l'honorable philosophe. Et quelle joie de voir Descartes renvoyé dans ses pénates !

La Méthode Mila, Lydie Salvayre, Points